Elle hurle, nous jouons – p. 22
Elle joue aux cartes en buvant du whisky.
Elle refait son chignon en allant ouvrir la porte.
Elle pose en maillot de bain pour la photo, les mains croisées sur les genoux.
Elle est allongée les mains jointes.
Elle marche de long en large en disant J’ai maintenant des jambes de jeune fille.
Elle est courbée en deux dans son potager.
Elle monte les escaliers sans faire craquer les marches.
Elle respire une rose.
Elle se met du rouge à lèvres.
Elle cherche une pièce dans son grand porte-monnaie noir.
Elle remplit d’eau chaude une bouillote en plastique rose.
Elle va chercher sa dauphine bleue au garage.
Elle fait la vaisselle. Ses jambes disparaissent.
Elle est enfermée dans un aquarium.
Elle ne porte pas ses lunettes de myope.
Elle ne voit pas qu'elle va mourir.
p. 36
D’autres images d’elle, comme appartenant à une autre femme : elle est dans l’entrée. Elle porte sa robe de soirée, noire, sans manches, avec un décolleté carré plongeant dans le dos et terminé par un nœud de satin. Ils vont au théâtre. Talons aiguilles, dos nu, séduisante, absente, parfum, bijoux. Elle saisit son manteau de fourrure, en ajuste le col devant la glace, remet en place une boucle de son chignon, presse ses lèvres l’une contre l’autre en rangeant son tube de rouge à lèvres dans son petit sac à main de satin brodé de perles noires. (…)
Mon père est prêt depuis longtemps, parfumé lui aussi. On va être en retard. Pour une fois, il ne s’énerve pas. Il la regarde. Il est fier de son épouse. Il aime qu’elle soit coquette. Soyez sages les enfants. Les enfants en pyjama reçoivent un baiser rapide, sans les lèvres, à cause du rouge à lèvres.