Le cri de la méduse – p.16
Je voulais te dire : je comprends, je comprends ton besoin de nous tenir à distance, de ne plus nous voir, de ne plus nous parler, je comprends ton besoin d’une rupture brutale, le temps de te construire – j’ai pensé, le temps de nous détruire.
Moi aussi, je l’ai rejetée, ma mère et son amour de mère. Elle pleurait dans sa cuisine en faisant la vaisselle. Le père rentrait. Elle allait au salon. Elle lui parlait de son chagrin Qu’est-ce que tu veux que je te dise, il disait. Lui aussi, il avait mal, lui aussi se sentait rejeté, mais il avait autre chose à penser, J’ai bien assez de soucis comme ça. Alors elle ne lui parlait plus de rien.
Qui ne dit mot accuse le coup, courbe l’échine, ravale sa morve, crie dans le désert des entrailles. Mais je ne suis pas ma mère, moi. Je ne veux rien avaler, ni morve ni couleuvres. Le silence est un étouffoir. Je redresse l’échine. J’attrape les mots qui se pressent et les dresse comme on dresse une table pour une belle fête.
Ma Sylvia, ma fille chérie, je continue à m’inquiéter pour toi, j’ai peur que tu te mettes
la tête dans la gazinière
p. 24
Ma Sylvia, ma fille chérie, je continue à m’inquiéter pour toi, j’ai peur que tu te mettes
la tête dans la gazinière
j’ai peur que tu sois enceinte
j’ai eu cette pensée, ton père m’a dit, J’y ai pensé aussi
Pourquoi peur, peur de quoi, on ne meurt plus aujourd’hui d’être enceinte.
Toi, enceinte,
ton corps plein,
mon corps creux,
mon corps pleure.
Quand j’étais enceinte de toi, j’avais peur que tu naisses aveugle.
Mais c’est moi qui suis aveugle
puisque je ne te vois plus.
Quand j’étais enceinte de toi, j’avais peur que tu naisses aveugle.
Mais c’est moi qui suis aveugle
puisque je ne te vois plus.