Janus Africa – p. 40
Un an s’est écoulé depuis son arrivée. Une nuit, c’était presque l’amour, sublimé par la peinture, une peinture à quatre mains, à tour de rôle, assis côte à côte, fraternellement, dans la salle de bains, car il n’y a pas d’autre pièce disponible pour ne pas déranger Esther, qui veut dormir. Le comique de situation les sauvait de l’amour. L’homme de soixante-deux ans assis sur une chaise et la jeune fille de dix-sept ans assise sur les WC font l’expérience de peindre une même feuille, dialoguent en silence avec leurs pinceaux et leurs couleurs. Il est minuit. Le moment est intense et fragile. Elsa pense à la peinture, au plaisir de réaliser quelque chose avec lui ; elle pense qu’ils éprouvent chacun le même plaisir du partage et de la création ; elle pense à lui à travers leur peinture à eux. Ils inventent à minuit une communication de minuit de laquelle Esther est exclue. Lui, peut-être qu’il pense à elle. D’une certaine façon qui ne la trouble pas, elle. Lui peint avec elle pour être avec elle, être à côté d’elle, seul avec elle. À minuit. Mais peut-être qu’il pense seulement à la peinture, à l’illusion de la création spontanée, dans les traces des surréalistes qu’il a lus. Mais peut-être que le plus important, qui se passe, c’est autre chose. L’important, pour lui, c’est ce qui pourrait se passer mais qui ne se passe pas. L’important, c’est l’intensité de l’esquive.